ou plus exactement les Chaumes du Vignac et de Clérignac et les meulières de Claix

La fabrication des meules, une vieille histoire

La meule est l’élément fondamental des moulins. Si la taille de la pierre meulière est apparue dès l’antiquité romaine, dans notre région, la fabrication intensive des meules est liée à l’essor des moulins à eau et à vent au cours du Moyen Âge ; leur diversité résulte aussi de la nature des productions agricoles et d’un début d’industrialisation avec les moulins forges et les papeteries.

Le transport des meules à partir du lieu d’extraction ou de fabrication s’avérait être le problème majeur. Il fallait donc utiliser la pierre locale la mieux adaptée. Ainsi, la plupart des meules sortaient des plateaux calcaires proches d’Angoulême pour fournir les moulins de la région. D’après les statistiques de la Charente établies par Quenot en 1818, 47 ouvriers pierriers exploitaient les carrières charentaises de meules pour une rémunération de 2 à 2,5 francs par jour. Les meules se négociaient de 60 à 100 francs, prises sur place.

Des carrières étaient exploitées à Châteauneuf et à Claix, entre Roullet et Mouthiers aux lieux-dits “Les Meulières”, “La meule”. Aux Baudries, une croix mérovingienne posée sur une meule signifiant le chemin des meulières, prouve l’ancienneté des carrières.

D’après les archives de 1914 à 1917, l’historien Martin Buchey note sur la carrière de Chez Baudry : “près du hameau de Vignac, on rencontre un calcaire au grain très dur et très serré qui se prête bien à la confection des meules du moulin”.

Les recherches effectuées aux Archives nationales, aux Archives départementales de Charente et à celles de Charente-Maritime ont montré que le site de Claix avait été exploité entre le XVIème siècle et le début du XIXème siècle, par une dynastie de marchands de meules : les Parenteau. Bien que ne possédant pas le gisement, détenu jusqu’au début du XVIIIème siècle par les seigneurs de Claix, les Parenteau n’en contrôlaient pas moins les précieux bancs de pierre meulière ; c’est eux qui exploitaient la plupart des meulières du sud-Charentais, en même temps qu’ils géraient la seigneurie et habitaient dans une maison-forte. Les meules extraites de leurs carrières étaient acheminées par voie de terre ou par des gabarres descendant la Charente, jusqu’à une centaine de kilomètres à la ronde ; la liste des dépôts de meules établis sur le fleuve jusqu’à Cognac et Saintes a pu être dressée, de même que les conditions de vente et de transport des pierres.

Les fouilles archéologiques menées en 2008 révèlent un site meulier exploité dès la fin de l’Antiquité ou plus certainement dès l’époque mérovingienne, jusqu’au XIXème siècle. Les opérations sur le terrain pour leur part, se sont déroulées d’août à décembre 2008. Elles ont d’abord consisté en une topographie exhaustive de tous les fronts de taille, effectuée par la société Topo16 au prix d’un travail considérable, puisque plus de 20.000 points ont été relevés à cette occasion. Les fouilles quant à elles, ont été effectuées en août et en septembre 2008 par une équipe de 13 salariés ou étudiants en histoire et en archéologie de l’université de Grenoble.

Le succès du calcaire de Claix tient à 2 caractéristiques : sa qualité et sa couleur. Composé en surface de petites crevasses formées par les coquillages fossiles, ce calcaire confère l’abrasivité suffisante pour moudre les céréales. C’est surtout sa blancheur qui est appréciée par les meuniers car la farine de froment n’est pas salie par la poussière. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, les meules blanches de Claix sont vendues à des centaines de kilomètres à la ronde, acheminées par la route ou par les gabares naviguant sur la Charente.

Bien connu des molinologues de Poitou-Charentes et en particulier par ceux habitant les environs d’Angoulême, le plateau des Meulières de Claix et de Roullet constitue un territoire à part. Dans une région déployant un océan de petites collines, aux pentes douces si propices aux prés et à la vigne, ce plateau forme comme la proue d’un navire, avec en guise de coque de belles falaises blanches, pointées vers la Charente. Au XIXème siècle déjà, savants et voyageurs notaient sa singularité : « Aux lignes monotones et indécises des côteaux de Châteauneuf et de la rive droite de la Charente, succèdent brusquement des lignes nettement arrêtées dans leurs contours et d’un effet remarquable. L’oeil embrasse une série de plateaux frangés et taillés en promontoires, qui s’avancent majestueusement vers la plaine » (Henry Coquand, 1857). En parvenant à son sommet, l’étonnement ne fait que croître. En plus d’un panorama superbe sur l’Angoumois et l’orient de la Saintonge, le visiteur découvre un labyrinthe de tranchées taillées dans le rocher, étirées sur des 50 et 100 mètres, profondes comme un homme et souvent comme un puits, et surtout toutes parallèles les unes aux autres, alignées à la manière de soldats en ordre de bataille. Treize hectares de surface, 600 mètres de long et 300 mètres de large, voici les dimensions de cette étrange armée. Il a fallu rien moins que 20.000 points à une entreprise de topographie pour en quantifier les effectifs ; après des mois de travail, le verdict est tombé : 190 fosses pour une production estimée entre 50.000 et 100.000 pierres, ce qui range les meulières de Claix parmi les plus grandes de l’ouest de la France.

On remarque que le plan de sédimentation est systématiquement respecté et donne toujours lieu à des extractions en lits ; de même, la connaissance du matériau et de ses défauts guide sans cesse les meuliers pour l’orientation de leurs fosses, leur étendue – délimitée par un réseau de diaclases – et leur profondeur. On note enfin une utilisation constante du pic, pour l’ouverture en deux ou trois passes des fossés annulaires détourant les ébauches de meules. Les évolutions sont nombreuses et conséquentes. A l’extraction en poche et en gradins a succédé très tôt une extraction en tranchées ouvertes et en paliers qui caractérise l’ensemble du plateau des Meulières. A l’intérieur de ces tranchées, les meules ont d’abord été tirées en position décalée d’un palier à l’autre puis en position strictement superposée, aboutissant à la formation de « tubes » de 5 m de haut, correspondant à l’enlèvement de 8 à 9 meules sur la totalité de la hauteur du front. A ses débuts, la carrière de Claix a fourni des meules rotatives manuelles de 50 à 60 cm de diamètre et des meules de moulin de 1,10 à 1,20 m de diamètre ; puis elle n’a plus produit que des meules de moulins, dont le diamètre s’est peu à peu accru jusqu’à atteindre 1,73 m de diamètre au terme de l’exploitation.

Ainsi, la campagne de 2008 a révélé un site meulier exploité peut-être dès la fin de l’Antiquité et en toute certitude à une échelle industrielle dès l’époque mérovingienne – une découverte d’autant plus remarquable qu’il s’agit à ce jour de la première carrière de meules de cette époque fouillée en France. Concurrencées par l’arrivée sur le marché de meules en pierre plus dure, l’exploitation périclite puis s’arrête avant 1850. Seule l’extraction de pierres de taille semble se maintenir pendant quelques années sur le bord nord-ouest du plateau.

Ce sont ainsi près de 15 siècles d’industrie meulière qui se sont déroulés sur le plateau de Claix. Cette longue durée, ainsi que l’ampleur des volumes extraits et l’étendue du bassin de commercialisation, disent bien l’importance remarquable que revêtait autrefois la fabrication des meules à moudre.

Les techniques d’extraction

L’outil principal du tailleur de pierre est le ciseau d’acier ou burin mais il utilise aussi le pic, la broche, la masse, le maillet, le compas, les coins de fer et de sapin. Les meules sont d’abord dessinées grâce au compas puis “détourées” au burin dans le banc du rocher. On introduit dans les sillons de détourages des coins de fer ou de sapin sec. Ces derniers sont mouillés et en gonflant ils provoquent le détachement de la meule de la paroi.

D’autres techniques étaient utilisées : des trous étaient percés sur le pourtour tous les 10 cm environ. Des coins de fer et de bois étaient alternativement introduits dans les trous et frappés à la masse. Ainsi la cassure du banc se réalisait mais cela ne se passait pas toujours bien. Lorsque les meules étaient extraites en hauteur ou en bordure de falaise, les pierriers les faisaient glisser à plat le long des pentes en les retenant par des cerclages ; sur terrain plat, ils utilisaient des rondins pour les faire rouler. Dès que les meules arrivaient en bordure de piste carrossable, ils les mettaient sur un traîneau et les hissaient sur un char mené par des boeufs ou des chevaux. Un œil avait être percé au centre des meules un axe y était introduit ce qui permettait de la faire rouler de champ.

 

En conclusion

A Claix, l’ampleur de l’extraction fut telle que le paysage en a été à jamais bouleversé. Au lieu de cultures et de bois s’étend maintenant une pelouse sèche parsemée de fourrés à genévriers, coupée d’abrupts calcaires et de plages de roche nue ; un vrai causse du Larzac, échoué aux portes de l’Atlantique. Dans ce décor tout entier dû à la main de l’homme, la nature a aussi trouvé moyen de se singulariser ; ici prospèrent plusieurs espèces intéressantes, comme l’engoulevent, le pipit rousseline et la genette chez les oiseaux, et chez les végétaux, la sabline des chaumes et surtout la globulaire de Valence, une petite plante à fleur mauve extrêmement rare en France. Cette flore a permis au plateau des Meulières de bénéficier en 1993 d’un arrêté préfectoral de protection de biotope et d’être à présent géré et partiellement possédé par le Conservatoire Régional des Espaces Naturels Poitou-Charentes (CREN).

Après de longues années d’abandon total, la mise en valeur du plateau par le Conservatoire d’espaces naturels permet aujourd’hui aux promeneurs de découvrir un site admirable et riche en biodiversité, façonné par l’homme depuis plus de quinze siècles.

Les carrières meulières font figure de véritable curiosité naturelle et environnementale.