Dès avant l’époque gauloise, le pays de Saint-Estèphe était déjà habité puisqu’on y trouve des monuments mégalithiques, tel le dolmen de la Boucharderie, et il ne cessa jamais de l’être. Auzone, alias Ozone, envoyé par saint Martial évangéliser la contrée, ne pouvait négliger ce centre situé aux portes de la ville d’Angoulême où il établissait on siège épiscopal. Cette région dût donc être une des premières à recevoir son enseignement.

Cette paroisse, dont la cure était à la collation de l’évêque d’Angoulême, fit partie du nouveau royaume des Wisigoths jusqu’à l’arrivée des Francs.

N’être plus soumis à des hérétiques et ainsi échapper à des persécutions et tracasseries incessantes était désiré de tous Angoumoisins. Ce vif désir donna même naissance à une curieuse légende : selon une tradition ecclésiastique, à l’arrivée de Clovis sous les murs d’Angoulême, ceux-ci, comme à Jéricho, tombant d’eux-mêmes, donnèrent entrée dans la ville à ce nouveau Josué venu pour délivrer le pays du joug des Ariens.

Saint-Estèphe connut les Maures. Ils avaient envahi toute la contrée et même après leur défaite dans la plaine de Poitiers, des bandes d’Arabes restant dans le pays y firent souche. Des surnoms, très caractéristiques, passées en patronymes, principalement à Sigogne et à Dirac témoignent du fait.

Les Sarrazins n’étaient pas seulement des conquérants, mais aussi des propagandistes ; leur but n’était pas seulement d’accroître leurs possessions territoriales, mais, et avant tout, d’anéantir le Christianisme. L’église de Saint-Estèphe dut donc être mis à mal par leur conquête. Il faut attendre la fin de Xème ou le début du XIème siècle pour trouver sur le sol de cette paroisse trace d’une construction religieuse.

Au XIIème siècle, par le mariage d’Eléonore de Guyenne avec Henri de Plantagenet, l’Angoumois passe aux rois d’Angleterre, eux-mêmes vassaux du roi de France. Adhémard, alias Aymard de Guyenne, se révolte contre l’Anglais. Richard Cœur de Lion prend alors Angoulême et rétablit le pays à son obédience. Mais Philippe-Auguste, appelé par Aymard, se jugeant seul maître du royaume et le montrant, remit son allié en possession de cette ville et força l’Anglais à signer une paix dont l’église de Saint-Estèphe ressentit les effets ; un chantier fut ouvert en ses murs pour exécuter des travaux considérables.

Mais avec le XVIème siècle surgirent les Guerres de Religion. Le pays d’Angoulême en fut un des principaux théâtres. Calvin, venu dans la contrée, apporter la nouvelle doctrine, après avoir résidé à Angoulême, est obligé de se réfugier dans le voisinage de Saint-Estèphe aux grottes de Roche-Corail, en la paroisse de Trois-Palis, d’où il continue ses prédications et soutient ses adeptes dans leur rébellion contre l’Eglise et l’Etat, contre le Pape et le Roi.

Ce fut une époque de grande désolation pour tout le pays. Tous les jours les Calvinistes se livraient à de nouveaux sévices ; chaque jour c’était des pillages d’églises. Aubeterre est mis à sac et l‘abbaye de La Couronne, tout proche, est saccagée de fond en comble par deux fois. Saint-Estèphe, dépendance de l’évêque ennemi des hérétiques, ne pouvait être épargné.

L’église, dans laquelle s’étaient retranchés les soldats du parti adverse, fut sévèrement bombardée, probablement en 1370, lorsqu’après le départ de l’armée royale les Huguenots reprirent les villes et les villages qu’ils avaient perdus au cours de la campagne précédente. Installés dans le cimetière s’étendant au sud et dans les maisons situées vis-à-vis de la façade occidentale leurs faucons criblèrent le monument de projectiles, dont nombre trouant la maçonnerie, allèrent, à travers le chœur et la nef, frapper le goutterot septentrional.

Ce bombardement intense, dont les cicatrices sont encore visibles, secoua terriblement l’édifice et sous cet ébranlement général les murs latéraux, les goutterots, déversèrent ; à la coupole, sous le clocher, une des trompes fut mise à mal et le doubleau du milieu de la nef se disloquant menaça de choir et d’entraîner le berceau dans sa chute.

Dès le principe, était au midi de l’église un presbytère accolé au goutterot méridional de sa première travée, et au même aspect, s’étendait alors le long de la seconde travée et du chœur un cimetière. Mais ce dernier ayant été désaffecté, probablement à la suite de la profanation par les Calvinistes, le curé le convertit en jardin et, sous Henri III, il reprit le presbytère, l’agrandit et le champ des morts fut transporté au couchant. La date de reconstruction nous est donnée par l’entrée majestueuse de son jardin sous un bel arc de l’époque encore existant, par celle des contreforts de la face Nord que le presbytère remplace en partie au Sud et certaines restaurations que nous trouverons au cours de notre visite du monument. Mais ce nouveau presbytère, transformé depuis, affreuse verrue, sans caractère, prive l’église d’air et de lumière ; il fut ainsi la cause directe de cette moisissure verte dont, enfin les Monuments Historiques ont débarrassé l’édifice. Ne nous réjouissons pas trop, cette infecte robe de Nessus reprendra bientôt sa place. La cause de son envahissement, de sa ténacité existe toujours. L’ancien presbytère devenu maison privée, transformé, reconstruit sans style est encore là. La municipalité ayant refusé tout subside pour son acquisition et sa suppression.

La gangrène ne se guérit que par l’amputation, le reste est frais inutile.

(D’après H. et E du Ranquet -Extrait du Bulletin de la Société Archéologique et Historique de la Charente, 1940)

En février 1922, le Conseil municipal demande de l’église soit classée monument historique pour les raisons suivantes : « l’église de Saint-Estèphe par les remaniements qu’elle a subis donne une page très claire de l’histoire de la construction dans ce coin de France. De plus, elle est curieuse par certaines dispositions peu usitées, tel l’emplacement de ses fenêtres primitives ouvertes à l’extérieur au-dessus et dans la prolongation de l’axe de petits contreforts bas et mi plats, détail qui à lui seul mériterait que la conservation de cet édifice fût assurée intacte. Enfin, ses fonds baptismaux pris dans le gouttereaux nord et faisant corps avec lui sont des plus intéressants en datant bien cette église par sa moulure à dent de scie.

L’église sera classée monument historique par arrêté du 28 mars 1923.